René Guénon et la Crise du Monde Moderne – Introduction

Ancien Vénérable Maître de la Grande Triade, Karl van der Eyken expose certaines contradictions aux dissidents pourfendeurs de maçonnerie épris de guénonisme.

Le Chaos social

René Guénon a critiqué à juste titre le monde moderne, un monde sans principe, malade d’individualisme, de rationalisme et de matérialisme ; de ce fait un monde qui se dirige inévitablement vers un cataclysme. De façon logique, la démocratie est irréalisable car « il est contradictoire d’admettre que les mêmes hommes puissent être à la fois gouvernants et gouvernés, parce que, pour employer le langage aristotélicien, un même être ne peut être « en acte » et « en puissance » en même temps et sous le même rapport ».

Les critiques de Guénon ont séduit à la fois des lecteurs conscients du chaos social et des assoiffés de spiritualité. Son emploi du langage aristotélicien ne doit pas faire croire que Guénon adhère à la métaphysique du Stagirite ; loin de là ! Il considère que cette métaphysique est incomplète, et que l’ontologie qui prouve l’existence de l’Être (Dieu, Acte pur), ne le dépasse pas ! Dieu ne suffit pas à Guénon, car selon lui, au-delà de l’Être il y a l’Infini du Non-Être.

L’Homme, être social

La décadence sociale résulte de l’ignorance de « principes métaphysiques », qui, normalement doivent inspirer les applications d’ordre social, ordre qui n’est pour lui qu’une « réalité contingente ». Les êtres qui forment cette réalité contingente ne peuvent rien espérer de plus que le Salut – finalité exotérique de l’Église catholique – infiniment inférieure à la Délivrance des adeptes de l’initiation ésotérique.

Pour René Guénon, la morale ne présente pas beaucoup d’intérêt, de par son côté sentimental qu’il associe au moralisme. Pourtant, selon la doctrine catholique que Guénon méconnaissait (Frithjof Schuon était son conseiller), la morale définit notre agir envers Dieu, envers l’autre et envers nous-mêmes. La morale n’a rien de sentimental, elle fait appel à l’intelligence et à la volonté. Et, avant tout, elle est d’ordre naturel, car inscrite au cœur de l’homme depuis la Création, puis passée à l’état latent en raison du Péché. Le Décalogue de Moise est un rappel divin de ces prescriptions naturelles ; cette Loi incontournable et perpétuelle fait ainsi partie intégrante de la doctrine catholique.

Aristote, philosophe païen qui n’a pas connu la Révélation, a traité la question de la morale. Il conclut que l’homme est un « animal politique », c’est-à-dire un être social dès sa naissance. Tout nouveau-né dépend nécessairement de ses parents, contrastant ainsi avec certains animaux qui sont autonomes dès leur naissance. Les parents font nécessairement partie d’une communauté et se chargent de l’éducation de leurs enfants en accord avec les règles morales en vigueur dans la société. On reconnaît un arbre à ses fruits. Il en est de même pour toute société qui, lorsqu’elle respecte ces prescriptions, gouverne dans le but du bien commun et du bonheur pour tous, support de toute vie spirituelle.

La raison du mépris de l’ordre social ou du naturel découle du monisme métaphysique de Guénon, pour lequel tout est relatif et/ou illusoire en-dehors du « Principe ».

Création et manifestation

Selon Guénon, l’origine du chaos est due à un éloignement de la manifestation « de plus en plus grand du principe dont elle procède ». Il n’est pas question ici de Création, mais de manifestation qui émane et/ou« procède » du principe, impliquant une continuité entre l’un et l’autre, concept qui s’oppose à la Création ex nihilo. Nous avons affaire ici à l’émanatisme qui aboutit inévitablement au panthéisme, qu’on retrouve dans toutes les doctrines gnostiques. La chute est causée par le développement de la manifestation, qui part du point le plus haut vers le point le plus bas. Ce développement engendre des cycles cosmiques, qui constituent une doctrine que nous ne pouvons pas comprendre : « difficile de faire de ces lois un exposé complet sous une forme aisément accessible aux esprits occidentaux », « seule l’histoire est accessible aux profanes ».

Mais si les cycles cosmiques scellent fatalement nos destins, nous sommes alors les victimes d’une prédestination radicale, de quoi enfanter des complexes chez les calvinistes. Dans ce cas, l’homme n’a pas pu commettre de Péché, puisque ce sont les lois cosmiques qui en sont la cause ; de ce fait l’homme n’est pas un être responsable avec une intelligence et une volonté libre. Implicitement, nous avons affaire à la doctrine gnostique du mauvais-dieu-créateur-qui-enferme-les-âmes-non-créées ; c’est le Démiurge, l’« Artisan » dont on peut seulement se délivrer par la connaissance initiatique de l’Infini du Non-Être, l’Ein-Soph de la Kabbale.

Une Super religion initiatique

Quels sont les remèdes que Guénon propose à cette crise ? Il prescrit l’intervention d’une élite (des Élus), qui doit restaurer la seule organisation en Occident « qui possède un caractère traditionnel, et qui conserve une doctrine susceptible de fournir au travail dont il s’agit une base appropriée : c’est l’Église catholique.  Il suffirait de restituer à la doctrine de celle-ci, sans rien changer à la forme religieuse sous laquelle elle se présente au dehors, le sens profond qu’elle a réellement en elle-même, mais dont ses représentants actuels paraissent n’avoir plus conscience ».

Cependant, cette « restitution doctrinale », qui est une soumission de l’Église, n’est pas un projet nouveau proposé par Guénon, mais un ancien projet des Rose-Croix. Dans leur manifeste Fama Fraternitatis en 1614, ces derniers prônaient déjà la réformation universelle de l’Église et des États, afin de les assujettir à une Superreligion ésotérique. Voici un bref aperçu de cette Supra-religion initiatique que René Guénon nous réserve.

L'Eden vu par les Rose Croix !

Le martiniste et kabbaliste Saint Yves d’Alveydre (1842-1909) a détaillé ce projet Rose-Croix, qu’il intitulait« le gouvernement synarchique ». Dans son livre Mission de l’Inde, Saint Yves décrit un centre initiatique mystérieux, le Centre primordial des Traditions, désigné sous le nom d’Agartha avec son chef, le « Roi du Monde ». Guénon a écrit un livre sur le « Roi du Monde », et soutient qu’il est identique au Manu, le « législateur primordial ». Celui-ci  est l’intermédiaire entre le ciel et la terre et a depuis toujours le Pouvoir spirituel absolu sur toute chose.

Saint Yves affirme que les véritables Rose-Croix ont quitté l’Europe en 1648 pour se retirer en Asie, ce que confirmait en 1714 Samuel Richter, fondateur de la Rose-Croix d’Or ; et René Guénon souhaite leur retour… Mais sont-ils vraiment partis, puisqu’il en reste encore quelques traces en Occident au XVIIIe siècle ?

La Rose-Croix et l’Ordre des Frères d’Asie

Le martiniste Papus avait commis un « lapsus » éloquent en disant que l’Ordre des « Frères initiés de l’Asie » désignait une organisation réellement orientale et qu’il s’agissait des « Mahâtmâs », assesseurs du Roi du Monde d’Agartha !

C’est en Allemagne, au XVIIIe siècle, que dirigent en arrière-plan ces « Supérieurs Inconnus ». Cette Franc-Maçonnerie templière de la « Stricte Observance », se scinde en 1782 en deux parties : l’une pour fonder le Rite Écossais Rectifié, l’autre pour rejoindre les Illuminés de Bavière. Or 1782 est également l’année de la création de l’Ordre des Frères d’Asie, ce qui nous amène, plus explicitement, du côté des sabbataïstes et des frankistes, qui étaient tous Rose-Croix selon l’excellent historien Jacob Katz. Gershom Scholem indique que des passages entiers des rituels et des catéchismes étaient traduits mot pour mot du Zohar et du Talmud.

Les sabbataïstes et frankistes prêchent la Rédemption par le péché selon la Kabbale de Louria. D’après cette doctrine d’Ordo ab Chao, la destruction globale est nécessaire afin qu’il n’y ait plus d’obstacle à la venue de leur Messie, l’Antéchrist pour les catholiques. Jacob Frank prétendait être le nouveau Messie, successeur et réincarnation de Sabbataï Tsevi, qui se proclamait être le Messie en 1648, année du retrait des Rose-Croix en Asie selon Guénon !

Karl VAN DER EYKEN

3 commentaires

  1. […] J’ouvre une petite parenthèse qui montre que tous les chemins ténébreux mènent à Agartha. Raspoutine était aussi Khlyst, et il était très ami avec le bouriate, sorcier chamane et thérapeute, le Dr. Badmaïev. C’est lui qui a préparé « psychologiquement » H.P Blavatsky pour sa mission. Elle est la fondatrice de la Société Théosophique et la promotrice de la « Grande Loge Blanche » dite « Fraternité du Thibet » – synonymes d’Agartha. Mais Badmaïev était également un agent de renseignement en mèche avec l’agent Ossendowski, « agent de liaison »14, comme le précisait scrupuleusement Guénon qui connaissait bien ce petit monde. Le récit d’Ossendowski sert de prétexte à Guénon pour écrire Le Roi du Monde. Par ailleurs, Ossendowski désigne le « Roi du Monde » par le terme Wielki Nieznany, le « Grand Inconnu »15, le « Supérieur Inconnu », déjà évoqué dans la Stricte Observance et l’Ordre des Frères d’Asie de l’article précédent. […]

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